Aujourd’hui, les programmes éducatifs nationaux, tout comme l’éducation en général, ont une visée bien particulière : les élèves doivent avoir de bons résultats. Toujours plus, toujours meilleurs, toujours plus haut, plus efficaces dans l’étroit couloir de connaissances que des grands pontes sortis de nulle part ont choisi à leur place. A l’instar de notre société productiviste et capitaliste, il faut générer, fructifier, rapporter, exhiber dès la plus tendre enfance. Et si les élèves étaient d’abord des enfants ? Des êtres humains ? Et si pour vivre heureux, il fallait… vivre, tout simplement ? « Enseigner à vivre » est un véritable manifeste pour une refonte en profondeur de l’éducation, où l’humain est à nouveau installé à sa juste place : au cœur de la vie, au cœur du monde.
Auteur : Edgar Morin
Editions : Actes Sud
Collection : Domaine du Possible
Edgar Morin, sociologue et philosophe, est un grand défenseur de la paix et de la non-violence. Il a écrit des tas et des tas de bouquins relatant tous ses grands travaux sur tout un tas de problématiques, tant à propos de l’humain en tant qu’individu que sur la société. Il a donc évidement écrit sur le vaste thème qu’est l’éducation à plusieurs reprises, mais il a choisi d’y consacrer quelques 120 pages dans cet essai, qui plaide pour repenser complètement l’éducation.
Dans Enseigner à Vivre, il part du postulat que l’éducation d’aujourd’hui n’apprend pas suffisamment aux adultes de demain à vivre. Pour lui, ce fait est lié à la société d’aujourd’hui, qui remplace l’être par l’avoir et qui calcule le bonheur des gens en calquant les chiffres de consommation des ménages sur leur bien-être… Évidemment, quand la société pense à l’envers… Alors l’éducation est aussi instaurée dans le sens inverse de la bonne logique. Mais c’est aussi par elle que tout peut s’inverser. Et c’est là qu’il faut agir ! J’en suis convaincue au plus profond de moi, et c’est d’ailleurs cela qui m’a amené à choisir mon métier. Vraiment, si tu en es convaincu aussi, je te conseille ce livre qui, loin de donner des recettes, des solutions toutes prêtes, pose noir sur blanc les incohérences de ce mode d’éducation actuel et ouvre sur les idées vers quoi elle devrait tendre… En laissant la place à chaque lecteur de s’approprier les mots, les idées, les valeurs pour les transformer en un concret qui lui ressemble.
Bon, le livre est très axé sur l’éducation à l’école/collège/lycée, mais tout le discours peut s’étendre à l’éducation en général, c’est à dire celle que nous offrons à nos enfants -ou à ceux des autres- lors de la petite et toute petite enfance, et hors des temps scolaires.
La première valeur que Morin met en lumière dans ce bouquin, c’est le Vivre. Qu’est-ce que c’est, vivre ? De quoi a-t-on besoin, en tant qu’être humain ? Bien vivre, vivre libre, les incertitudes de vivre… Les réflexions en matière d’éducation devraient commencer par là.
Certes, il n’y a pas de recette de vie, mais on peut enseigner à relier les savoirs à la vie. On peut enseigner à développer au mieux une autonomie et, comme dirait Descartes, une méthode pour bien conduire son esprit, qui permet d’affronter personnellement les problèmes du vivre. Et on peut enseigner à chacun et à tous ce qui aide à éviter les pièges permanents de la vie.
Apprendre à reconnaître nos erreurs, nos illusions, pour pouvoir aller vers une connaissance toujours plus pertinente et impartiale possible, permet de pouvoir faire des choix avertis pour sa vie, que ce soit au niveau amical, amoureux, politique ou professionnel etc. Cela offre également la possibilité de pouvoir affronter les incertitudes de la vie.
Cela nous amène à une partie de l’essai concernant la compréhension intellectuelle et humaine.
Vivre nous confronte sans cesse à autrui, familial, familier, inconnu,étranger. Et nous avons dans toutes nos rencontres et nos relations besoin de comprendre autrui et d’être compris par autrui. Vivre, c’est avoir sans cesse besoin de comprendre et d’être compris. […] La compréhension humaine n’est nulle part enseignée. Or le mal des incompréhensions ronge nos vies, détermine des comportements aberrants, des ruptures, des insultes, des chagrins.
Le chapitre sur la compréhension humaine est extra. Il fait parti des passages que j’aime relire de temps en temps… Mais bon sang, c’est pourtant évident ! C’est tellement difficile de comprendre un autre être humain ! Et on ne l’apprend jamais… Pis on risque pas de l’apprendre quand tout est fait pour séparer les gens, pour ne pas se comprendre soi-même… Et pourtant, si nous pouvions tous développer cette compétence, le monde irait vachement mieux ! Et nous, individus, aussi !
Une autre partie traite le sujet de la connaissance. Ici, Morin rappelle entre autre que l’erreur n’est pas une faute, qu’elle n’est qu’une pierre de plus sur le chemin de la connaissance, qu’elle est source de découverte et d’innovation. Elle est aussi une information précieuse pour interpréter les causes de cette incompréhension, et donc pour aller vers l’avant. Il faudrait donc considérer l’erreur avec bienveillance. Il parle aussi de l’importance de globaliser les connaissances, plutôt que de les entre-couper, pour justement les mettre au service de l’entité qu’est la vie. Mais attention, globaliser ne veut pas dire désorganiser…
Enfin, on trouve un chapitre sur la connaissance de notre condition humaine, pour aller vers une éthique du genre humain.
Certes nous avons besoin de rationalité dans nos vies. Mais nous avons besoin d’affectivité, c’est-à-dire d’attachement, d’épanouissement, de joie, d’amour, d’exaltation, de jeu, de Je, de Nous.
Tout cela ne peut évidemment pas se faire si on coupe l’envie d’apprendre, présent naturellement chez l’enfant, avec des méthodes qui ne sont pas bienveillantes. L’éducation doit favoriser l’autonomie et la liberté d’esprit pour arriver au cercle vertueux du « savoir-vivre-penser-agir au XXIème siècle. »
Bref… un livre très enrichissant, que vous travailliez auprès d’enfants ou pas !
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